Anne Deleporte
3 octobre – 26 octobre 2024
WINDOW INSTALLATION
curated by : François Michaud
Dans le dernier numéro de La Révolution surréaliste, René Magritte affirmait : « Un objet ne tient pas tellement à son nom qu’on ne puisse lui en trouver un autre qui lui convienne mieux. » Il y a donc des objets dont le nom est indifférent et des choses qu’on ne nomme pas, comme il y a des artistes qu’on ne présente plus et qui ne disent jamais, par exemple : « J’ai fait ceci ou cela parce que… ».
J’écris, ce soir comme à vingt ans, pour ceux à qui l’explication de texte est aussi inutile que le commentaire composé l’est aux auteurs du Lagarde et Michard. Ce qu’elle a fait, Anne Deleporte l’a fait parce qu’il lui plaisait de le faire : marchez au hasard dans New York, entrez dans le premier parc venu ; il n’est pas impossible que vous y trouviez un ballon éclaté, un ballon de basket aux lamelles de cuir, tombées comme des pétales dans un jardin ou comme les feuilles durant l’automne. Ceci ne peut suffire à expliquer cela, mais le fait est avéré – et son résultat, il se trouve que vous l’avez devant vous, au prix de quelque transmutation secondaire. Ces formes fantômes sont de toute évidence des œuvres de l’esprit, pour parler la langue des avocats qui rarement aura été plus véridique.
Si l’on appliquait la règle énoncée plus haut, on appellerait certainement cette forme Hélice, Éléphant ou Synode… Un enfant de ma connaissance, anticipant la naissance prochaine de sa sœur, ne s’est-il pas exclamé : « Je voudrais qu’elle s’appelle Tank ! » ? Quel plus joli nom pour une petite fille ? Qu’on choisisse de nommer cette sculpture Parapluie ou Parapente, Oiseau de Paradis ou Surréalisme matinal, mieux vaut oublier aussitôt ce que nous avons dit. Toujours est-il qu’elle s’impose à nous avec une vérité et une assurance qui n’est pas sans rappeler certaines apparitions de conte de fées. Il me souvient ainsi d’un récit rarement cité d’Andersen dont le titre était à lui seul toute l’histoire, toute l’une des histoires possibles, dont celle de l’auteur n’est probablement pas la plus remarquable : La Fille du roi de la vase. J’ignore pourquoi c’est ce nom-là, plutôt que cent mille autres, qui me vient à l’esprit en pensant au singulier objet qui vous attend dans la vitrine – peut-être bien parce qu’il me semble que, « derrière lui », m’attendait tapi dans l’ombre un autre titre dont le pouvoir d’évocation m’a longtemps paru sans équivalent : Le Tigre dans la vitrine. Du tigre d’Alki Zei aux formes fantômes d’Anne Deleporte, il n’y a que l’espace-temps séparant deux trous noirs l’un de l’autre – autant dire une feuille de papier à cigarette ou l’épaisseur d’une vitre. Nous y sommes donc, et devant nous s’étend à l’infini un monde dont les codes sont certainement au moins l’inverse de ceux que nous avons l’habitude de tenir pour acquis, et la pesanteur une chose bien plus improbable que l’apesanteur – il suffira certainement de se laisser porter, et je ne doute pas que le voyage ne nous mène quelque part en Grande Garabagne.
François Michaud